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Conférence du père Jean-Noël DOL à Cotignac

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Fête de Saint Joseph, Cotignac, 21 mars 2015

Un petit mot tout d’abord pour vous dire ma joie d’être ici parmi vous aujourd’hui, de participer avec vous à ce pèlerinage à saint Joseph qui attire beaucoup de fidèles de notre diocèse et d’au-delà. Merci au père prieur de m’avoir invité, et pour le redoutable honneur de prononcer devant vous… quoi au juste? Un panégyrique? Mais les louanges de saint Joseph ont déjà été prononcées si souvent – lui qui est le saint le plus discret du Nouveau Testament –, et par des voix si illustres; que pourrait-on rajouter, dire de plus ou de neuf? Un discours? Il y en a beaucoup en ce moment, en politique en particulier, et nous allons essayer d’éviter ce genre littéraire peu approprié et bien laïcisé.

Une méditation plutôt, un regard simple et priant sur la belle figure de Joseph, en lui demandant de nous instruire des mystères auxquels il a participé et de nous les faire vivre à notre tour. Et cette méditation, j’aimerais vous y introduire à partir du ministère qui est le mien aujourd’hui. Notre évêque m’a confié en effet, depuis l’an passé, la charge du séminaire diocésain de la Castille, dont je suis donc le recteur. Rendons grâce ensemble pour ce fleuron de notre diocèse, où une cinquantaine de jeunes se préparent actuellement à devenir prêtres, si c’est là la volonté de Dieu, pour devenir serviteurs du Seigneur et de l’Eglise. Incombe à leurs formateurs, dont je suis, la belle et lourde tâche de les aider à grandir humainement et spirituellement pour répondre le mieux possible à cet appel qu’ils ont reçu. Que ce soit l’occasion aussi pour toutes les personnes présentes de demander instamment dans leur prière, devant saint Joseph et ND de grâces, les vocations sacerdotales et consacrées dont l’Eglise et le monde ont tant besoin aujourd’hui, surtout dans notre pays.

 J’intitulerais donc volontiers cette méditation: être séminariste, puis prêtre, à l’école de saint Joseph. Un petit détail personnel: j’ai moi-même été ordonné un 19 mars, fête de saint Joseph, en 1994. A l’époque, je n’y ai vu qu’un hasard, en fonction des disponibilités de l’agenda de l’évêque. Ce n’est que depuis ma nomination au séminaire que je comprends ce que cette date signifie; c’est depuis peu que j’ai pris Joseph pour père et mentor, lui demandant de me diriger pour être au milieu des séminaristes un prêtre à son image. 20 ans pour découvrir la signification spirituelle d’un évènement, d’une empreinte, et l’importance de Joseph: c’est bien à l’image de ce saint si discret, qui ne s’impose ni à la piété ni à la réflexion théologique, et dont le mystère a mis tellement de temps à pénétrer les consciences chrétiennes. La découverte de Joseph prend beaucoup de temps…

  •  Un homme de Dieu

Que demande-t-on prioritairement à un prêtre aujourd’hui? Et que doit apprendre prioritairement un séminariste aujourd’hui pour être un prêtre selon le coeur de Dieu?

La première qualité exigée – et c’est en fait bien plus qu’une qualité, c’est une détermination de toute la personne –, c’est d’être un homme de Dieu. Un homme qui appartient à Dieu, qui montre Dieu et qui conduit à Dieu. Dans notre monde sécularisé du 21e siècle, Dieu est à bien des égards rendu absent, nié par certains, évacué par d’autres de l’espace public, sous prétexte d’une laïcité mal comprise, et relégué dans le domaine de la vie personnelle, de la subjectivité croyante, dont il ne devrait aucunement sortir, sauf à devenir fauteur de trouble public. Dans le coeur des hommes aussi, Dieu a souvent été relégué dans les dessous, prié de se faire discret et de se taire, tandis que les vieilles idoles refont surface, sous de nouveaux atours. Dieu est bien là, car l’homme a été fait par Dieu et pour Dieu, et notre coeur est sans repos tant qu’il ne repose en Dieu; mais Dieu est étouffé, bâillonné, espérant être libéré pour reprendre sa vraie place.

Le rôle du prêtre est d’aider à cette libération, à la prise de conscience de cette présence de Dieu qu’on a voulu expulser mais qui s’accroche au fond du coeur lointain ou indifférent, qui s’accroche dans notre société qui ne veut plus de lui; d’aider ensuite l’homme à s’accorder à Dieu, à rechercher sa volonté pour y adhérer le plus pleinement possible, à s’unir à Dieu dans l’amour pour ne plus faire qu’un. Et pour ce faire, le prêtre ou le séminariste doit l’avoir réalisé, au moins en partie, dans sa propre vie; ou tout au moins en avoir le désir sincère et profond. Il doit réaliser en lui puis montrer cette priorité absolue de Dieu.

Joseph est, nous dit la Bible, un «homme juste» (Mt 1,19; Lc 2,25). Nous savons ce que cela signifie: non seulement un homme moralement droit, qui suit scrupuleusement les préceptes de la Loi (cela, les pharisiens le faisaient aussi bien et même encore mieux), mais, plus profondément, un homme qui cherche à s’ajuster en permanence à Dieu, à sa présence, à son dessein, fidèlement et dans l’obéissance. Joseph fait partie de cette race des simples, des humbles, des pauvres de coeur déjà (avec Marie, Elisabeth, Zacharie, Siméon, Anne et Joachim, et bien d’autres anonymes), qui ont pour raison d’être l’amour et la fidélité de YHWH et pour YHWH.

Et Dieu va maintenant fondre sur cet homme juste, pour prendre possession de lui entièrement, le mettre au service de l’accomplissement de sa volonté et de son dessein de salut. Joseph s’est offert sincèrement à Dieu, avec tout ce qu’il avait et était, et voici que Dieu le prend au mot, mais d’une manière bien différente et bien plus radicale que ce que Joseph aurait pu imaginer. Dieu le désapproprie de ses projets (conjugaux ou autres), de ses idées, de son désir d’accomplissement humain même, pour le remplir de sa présence et faire de lui un instrument docile au service de l’accomplissement de son dessein de salut. Il faut que Joseph accepte de se vider de lui-même – comme le Fils lui-même le fait en venant en ce monde, nous dit saint Paul en Ph 2 – pour que Dieu puisse l’emplir, et que Joseph devienne plein de Dieu, porteur de Dieu, homme de Dieu pour les siens.

Joseph sera ainsi homme de Dieu, porteur et donateur de Dieu, pour Jésus lui-même. Certes, Jésus est le Fils éternel, parfaitement uni au Père qu’il est venu révéler et communiquer. Mais le Fils s’est fait homme véritable, et dans son humanité semblable à la nôtre – hormis le péché –, il s’éveille aussi à Dieu grâce à ceux qu’il trouve sur son chemin. Et au premier chef grâce à Marie puis à Joseph. Joseph montre Dieu à l’enfant Jésus, il l’initie humainement à la priorité de Dieu, parce qu’il est lui-même homme de Dieu, devenu porteur et même transparent de cette présence de Dieu en lui, grâce à sa justice et plus encore à son se-vider de soi. On a parfois parlé de Joseph comme «l’ombre et la figure du Père» (Faber); je préfère quant à moi parler de Joseph comme homme de Dieu, porteur de cette présence et de cette priorité exigeante de Dieu le Père. Pour le dire autrement: Jésus est et sera l’homme de Dieu par excellence, l’Homme-Dieu; il l’est parce qu’il est le Fils éternel en sa nature divine, immédiatement; il l’est aussi, en sa nature humaine (unie hypostatiquement à la Personne du Verbe), parce que Joseph lui en donne l’exemple vivant, médiatement.

C’est ce que le séminariste, puis le prêtre, est appelé à vivre: il est peut-être lui aussi un homme juste, si la grâce l’a gardé pur durant sa vie antérieure, ou bien s’il a été justifié par Dieu après une vie désordonnée. Et Dieu fond sur lui; Dieu désire prendre possession entièrement de son serviteur, l’investir entièrement. Ce qui suppose que le séminariste se laisse (progressivement, car cela se réalise rarement en un clin d’oeil) envahir, exproprier, déposséder de lui-même, de ses images, de ses idées, de sa volonté, de ses projets, même lorsque ceux-ci sont élaborés en toute sincérité pour la gloire de Dieu. Le jeune homme doit se vider de lui-même pour être porteur de Dieu, homme de Dieu. Ce n’est qu’ainsi qu’il pourra éveiller chez les autres, comme Joseph pour Jésus, ce sens de Dieu, pour leur permettre d’être à leur tour des hommes et des femmes de Dieu.

  •  Un père

C’est devenu un lieu commun, tristement véridique, de dire qu’aujourd’hui la paternité est sérieusement menacée. Les évolutions toutes récentes, mentales, sociales puis légales, ne vont certainement pas améliorer la situation: la société s’est féminisée, les sexes deviennent interchangeables dans leurs fonctions voire dans leurs identités. L’homme, l’être humain masculin, se demande de manière plus ou moins angoissée qui il est (cf. John Eldredge); il ne sait plus bien en quoi consiste sa masculinité; il hésite à devenir père, reculant devant cette responsabilité qui est une aventure («les pères de famille sont les grands aventuriers du monde moderne», disait Péguy) voire une folie. Et ceux qui l’assument le font parfois approximativement voire bien mal, laissant des plaies plus ou moins profondes dans leurs enfants. Certains de ces enfants vont rechercher tout au long de leur vie ce père qui leur a manqué ou les a étouffés, d’une manière ou d’une autre.

Jésus a le meilleur Père qui soit, le Père éternel, qui éternellement l’engendre et lui donne tout, toute la nature divine, tout son Amour divin infini. C’est précisément ce Père qu’il est venu nous donner, pour qu’à notre tour nous devenions enfants de Dieu. Et pourtant, curieusement d’une certaine manière, Jésus a voulu avoir aussi un père humain. Certes pas un père biologique – Marie est bien vierge –, précisément pour marquer ce caractère irréductible, premier et dernier, de la paternité divine. Mais un père humain quand même, qu’on l’appelle père putatif (terme peu élégant, il faut en convenir), père adoptif, père nourricier… Vrai père humain de toute façon, père tout court («ton père et moi», dit Marie en Lc 2,33.48). Et Joseph assume dans toute sa densité, avec crainte et tremblement peut-être mais sans pusillanimité, cette charge paternelle pour un enfant qui simultanément est le sien et n’est pas le sien, développant avec lui, au long des années de l’enfance une relation qui est bien celle d’un père humain avec son fils, même si elle est aussi celle de la créature avec son Créateur. J’en veux pour preuve trois actions, rapportées par les Ecritures, constitutives de la paternité:

  • Joseph, donne, à l’invitation de l’ange, son nom à l’enfant: «tu l’appelleras Jésus, YHWH sauve, car c’est lui qui sauvera le peuple de ses péchés» (Mt 1,21). Prérogative paternelle par excellence dans le monde juif. Le nom vient d’en haut, ce n’est pas Joseph qui l’a choisi, mais c’est Joseph qui l’impose, devant Dieu et devant les hommes. Et comme le nom signifie une identité et une mission (Dieu-sauve), c’est Joseph qui initiera l’enfant à son identité et à sa mission. La psychanalyse insiste aujourd’hui sur le fait que la relation de père à fils se noue dans la double «parole de reconnaissance», où le père manifeste à son fils sa paternité réelle (qui n’est jamais une évidence immédiate) et où le fils répond à l’autorité et à l’amour ainsi manifestés. On tomberait dans le docétisme si on éliminait de l’humanité de Jésus ce rôle formateur du père humain, qui dit le nom, qui dit la parole de reconnaissance, qui dit l’identité et la mission.
  •  Joseph commande et gouverne. C’est lui qui exerce l’autorité dans la Sainte Famille, de manière volontaire et responsable, toute entière finalisée par le bien de ceux qui lui sont confiés; Marie et Jésus se soumettent à lui (cf. Lc 2,51), alors qu’ils sont plus saints que lui… Et Joseph est confirmé et invité par Dieu, via l’ange, à s’investir dans cette autorité paternelle tout entière conforme à la volonté divine: «debout, prends l’enfant et sa mère…». Joseph met ainsi en pratique la vertu masculine et active de force, si nécessaire à ceux qui exercent une autorité. Force responsable et délicate en même temps, sans peser de trop, sans s’imposer, sans faire écran devant la source qu’est la paternité divine, pour que l’autorité ne devienne pas pouvoir et domination. Joseph nous apprend à ne pas fuir l’autorité, par une sorte de faiblesse ou d’humilité mal comprise, mais à l’exercer avec force et douceur, à la fois virilement et comme un service, à être chef en étant gardien.
  • Joseph éduque: il transmet à son fils l’héritage religieux de son peuple (le jeune Jésus apprendra certainement la prière des Psaumes par son père, et c’est Joseph qui le mènera à la synagogue pour que le Sauveur prenne sa place au sein du peuple élu; Joseph lui enseignera aussi la priorité absolue du Dieu d’Israël, l’aidant humainement à aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force et de tout son esprit); il lui transmet aussi une épaisseur humaine, fruit de sa sagesse et de son bon sens, ce qui explique sans doute en partie que l’enfant Jésus à son tour croisse humainement en sagesse (Lc 2,40.52) – nous dirions aujourd’hui qu’il forme sa personnalité; il lui transmet enfin un métier, son métier, que le jeune homme exercera jusqu’au moment où il entrera dans sa vie publique, au point qu’il est connu de ses contemporains comme le fils du charpentier (cf. Mt 13,55). Bref, Joseph fait de l’enfant un homme. Puis, sa mission accomplie, lorsque l’enfant est devenu un homme, il s’efface et disparait de la scène, sans avoir prononcé une parole, sur la pointe des pieds, à tel point que les Ecritures ne nous permettent pas de dire quand et comment Joseph est mort (sans doute avant que Jésus atteigne les 30 ans, cf. Lc 3,23).

Jean-Paul II résume, dans son exhortation Redemptoris Custos: «sa paternité s’est exprimée concrètement dans le fait d’avoir fait de sa vie un service, un sacrifice au mystère de l’Incarnation et à la mission rédemptrice qui lui est liée; d’avoir usé de l’autorité légale qui lui revenait sur la Sainte Famille, pour lui faire le don total de lui-même, de sa vie, de son travail; d’avoir converti sa vocation humaine à l’amour familial en une oblation surnaturelle de lui-même, de son coeur et de toutes ses forces à l’amour mis au service du Messie qui naquit dans sa maison».

Nos séminaristes sont les enfants de leur temps. Eux aussi ont porté ou portent encore, pour certains, les séquelles de la confusion actuelle. Certains ont vécu des relations difficiles ou douloureuses avec leur père. En ce sens, le séminaire est une période de transition et de guérison: guérison psychologique lorsqu’elle est nécessaire; guérison humaine (les formateurs, et en particulier le recteur, doivent en ce sens accomplir une tâche de père, être une figure paternelle qui donne un nom, gouverne pour le bien de tous, enseigne et éduque. Saint Pierre-Julien Eymard écrivait: «je me suis consacré à saint Joseph comme mon chef et mon maître en mes devoirs de supérieur, afin que je les remplisse comme lui, étant doux et humble de coeur, doux avec mes frères, humble en moi-même, simple devant Dieu»); guérison spirituelle, en découvrant la paternité suréminente de Dieu, de qui vient toute paternité au ciel et sur la terre, sous le regard paternel de Joseph.

Ce n’est qu’ainsi qu’ils pourront à leur tour devenir pères, à l’imitation de Joseph, et en participation de la paternité de Dieu. Non pas pères charnels de ceux qui leur seront donnés, enfants ou adultes – le voeu de célibat fait partie intégrante, me semble-t-il, de la vocation du prêtre –, mais pères malgré tout, capables d’accomplir, à leur niveau, ce que Joseph a réalisé pour Jésus:

  • donner un nom, c’est-à-dire révéler une identité et aider à accomplir une mission, que ce soit dans le sacrement du baptême, dans l’accompagnement humain et spirituel, dans l’attention personnelle portée à chacune des brebis.
  • Commander et gouverner, c’est-à-dire exercer l’autorité sur la portion du peuple de Dieu qui leur sera confiée (aumônerie, paroisse, diocèse), en prenant les décisions qui conviennent pour indiquer une voie et pour le bien des hommes. Bérulle affirme que le prêtre est appelé à devenir, comme Joseph, «le lieutenant de Dieu sur la partie la plus noble de son empire», Joseph sur le Christ, Fils de Dieu fait homme, le prêtre sur l’Eglise, Corps du Christ.
  • Enseigner, en transmettant la parole de Dieu et en faisant grandir dans la foi; éduquer à être homme et chrétien.

«Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un père, et vous êtes tous frères», recommandait Jésus (Mt 23,9). Mais soyons-en certains, Jésus, sans pour autant se contredire, a aussi appelé Joseph «père» (j’aime à croire qu’il a réservé l’appellation Abba à son Père du ciel). Donner à un prêtre le titre de «père», n’est-ce pas la manière la plus belle qui soit de reconnaître qu’à travers lui, de manière humble et effacée, mais aussi virile et responsable, quelque chose de la paternité de Dieu et de la paternité de Joseph est exercé et communiqué?

  • La sainteté de l’ordinaire

Dans l’échelle de la sainteté (en admettant qu’un telle expression soit licite et bienvenue), Joseph occupe l’une des premières places. La sainteté divine est communiquée par le Christ et l’Esprit de sainteté; Marie est la créature humaine qui l’a le plus complètement reçue. La tradition place ensuite Jean-Baptiste, en se fondant sur une parole de Jésus disant qu’il est le plus grand des enfants des hommes. Certains auteurs spirituels, en particulier les maîtres de l’école française de spiritualité, au 17e s. (Bossuet, Bérulle), accordent cependant cette place à Joseph. Le but ici n’est pas de trancher le débat, ni de savoir qui est le plus grand; au surplus, je ne pense pas qu’au ciel, il y ait une compétition entre Jean-Baptiste et Joseph pour occuper la meilleure place… Ils laissent sans doute ce soin au Seigneur lui-même, et donc nous aussi. Il nous suffit de savoir que Joseph occupe une place des plus élevées dans la communion des saints.

Et pourtant, lorsque l’on étudie et médite sur sa vie, on ne peut qu’être frappé par la discrétion et la simplicité de Joseph. Il y a certes la place toute particulière qu’il a occupée auprès de Jésus-Christ, et l’influence transformante du Sauveur sur son père humain. Il y a aussi la place toute particulière qu’il a occupée dans la vie de la toute-Sainte, Marie, son épouse, et l’influence transformante de celle-ci sur son époux. En dehors de ces relations privilégiées avec le Verbe fait chair et la Mère de Dieu, rien de bien extraordinaire dans la vie de Joseph, semble-t-il: la vie d’un juif pieux, de bonne famille certes, mais dans un village plutôt perdu; la vie d’un artisan qui travaille de son mieux pour subvenir aux besoins de son foyer; la vie d’un époux responsable et d’un père attentif. Dans tout cela, rien d’extraordinaire. Le quotidien des jours est le même, répétitif, voire morne vu de l’extérieur. Joseph y met seulement – mais c’est là tout ce qui fait la différence – une intensité de présence, d’attention, de don de soi, qui fait que chaque moment est unique, car il est vécu pour le service de Dieu et en présence du Fils de Dieu fait chair, qui transfigure et donne une profondeur presque infinie à chaque moment en apparence ordinaire, à chaque geste en apparence anodin voire contraignant et rébarbatif, à chaque jour en apparence si monotone et semblable au précédent. Joseph est certainement le premier modèle (Thérèse de Lisieux le fut aussi, bien plus tard) de la sainteté ordinaire, au quotidien, celle d’une grande intensité de foi et d’amour dans ce qui est apparemment désespérément obscur et banal. Le Pape Paul VI, dans son homélie du 19 mars 1969, affirmait de Joseph: «un homme pauvre, honnête, laborieux, timide peut-être, mais qui a une insondable vie intérieure… A lui le poids, les soucis, les responsabilités, les risques… A lui le service, à lui le travail, à lui le sacrifice, dans la pénombre du tableau évangélique»; à lui la pauvreté laborieuse et digne de Nazareth, que Charles de Foucauld a beaucoup méditée. On pourrait parler, en reprenant une expression ancienne aujourd’hui un peu oubliée, de l’accomplissement parfait du «devoir d’état», en purgeant cette expression de ce qu’elle pourrait avoir de volontariste et de moralisateur (je me contrains à accomplir ce qui me rebute ou ne m’intéresse guère, afin d’être agréable aux yeux de Dieu et d’acquérir un mérite), et en lui donnant son sens vraiment christologique: j’habite pleinement chaque instant de ma vie et de la mission que Dieu m’a donnée, quel que soit son intérêt ou son manque d’intérêt apparent, car chaque instant est plein de la présence de Dieu; et il est plein de la présence de Dieu car le Verbe a voulu planter sa tente parmi nous et habiter une existence humaine ordinaire. En Joseph se trouve donc également dépassée la tension, voire la contradiction, posée classiquement entre vie contemplative et vie apostolique, entre Marthe et Marie pour faire bref: Joseph est un contemplatif du mystère divin qui lui est confié, dans l’action très ordinaire de l’époux, du père de famille, de l’artisan, étant en tout cela d’abord le disciple qui écoute et regarde.

Quelle leçon pour chacun d’entre nous, quelle que soit sa position, son état dans la vie, sa mission, en particulier les travailleurs et les pères de famille! Quelle leçon tout spécialement pour nos futurs prêtres! Chacun a répondu à l’appel du Seigneur avec toute sa conviction, sa générosité; chacun est habité du désir profond et sincère de se donner à Dieu et d’accomplir de belles choses pour lui, et pourquoi pas, des actions héroïques… Et voilà que le quotidien n’est pas forcément enthousiasmant: la vie du séminaire avec les confrères qui nous sont donnés – et avec lesquels on n’aurait pas forcément noué une relation en d’autres circonstances –; le quotidien du travail intellectuel, avec ses clartés mais aussi son ascèse; le service matériel de la maison; les apostolats mêmes, qui peuvent se révéler répétitifs et décevants quand il s’agit de les mener à bien semaine après semaine, sans qu’ils produisent toujours le fruit escompté… Il y aurait là de quoi perdre de son enthousiasme initial, et le risque existe de s’installer dans une routine au milieu de laquelle on maugrée, on murmure, on soupire après ses rêves de gloire défunts. La même désillusion peut d’ailleurs guetter plus tard le prêtre, rêvant d’abord de grandes choses pour servir Dieu et son peuple, et qui essuie ensuite l’usure, qui est guetté par l’acédie. Sans doute pas dans ses premières années de ministère, bénies et heureuses, un peu folles aussi, mais au bout de quelques années. Ou bien lorsqu’il s’agit de devenir curé, d’assumer la lourde responsabilité, la charge d’une communauté qu’il s’agit de servir et de faire grandir; avec également les tâches matérielles si insipides qu’il faut bien assumer: gérer un budget, s’occuper du toit de la salle de catéchisme qui fuit… Perspective qui, il faut bien l’avouer, fait reculer aujourd’hui certains futurs prêtres ou prêtres.

C’est ici que l’image et le modèle de Joseph doivent inspirer profondément le séminariste ou le prêtre, comme d’ailleurs aussi, à leur manière, le laïc et le consacré. Je suis invité moi aussi à la «sainteté de l’ordinaire», à trouver dans l’exercice de mes activités quotidiennes, qui peuvent devenir fastidieuses, la présence du Verbe incarné qui leur donne une intensité spirituelle, et presque une dimension d’éternité. Je lis les Ecritures et les étudie comme Joseph les a étudiées et les a apprises à l’enfant Jésus. J’accomplis mon service communautaire comme Joseph a travaillé dans son atelier de charpentier. Plus tard, je gouvernerai mon aumônerie, ma paroisse, comme Joseph a été la tête de la sainte famille. Lorsque je serai tenté de murmurer, intérieurement ou extérieurement, de râler devant les tâches matérielles à accomplir, devant le quotidien décevant, je penserai à Joseph: je dois gérer le budget de ma paroisse comme Joseph a tenu la modeste bourse de la sainte famille; je réparerai ou ferai réparer le toit de la salle de kt qui fuit comme Joseph l’a fait dans la maison de Nazareth, pour éviter qu’il pleuve sur Marie et Jésus. Avec zèle, entrain, avec la conviction que j’accomplis cela en compagnie du Seigneur Jésus lui-même, mystérieusement présent dans mes tâches quotidiennes comme il était présent dans la maison ou dans l’atelier de Nazareth; je l’accomplis également pour le Seigneur Jésus lui-même, comme Joseph l’a fait pour l’enfant à Nazareth, et comme je le fais maintenant pour ceux qui me sont confiés, qui sont les membres de son Corps ecclésial, auxquels il s’est mystérieusement identifié.

Joseph, saint de l’ordinaire et de la simplicité, saint de la porte étroite, est ainsi celui qui éduque chacun, et tout particulièrement le séminariste puis le prêtre, à servir Dieu et l’Eglise non pas prioritairement dans de grandes actions éclatantes, dans des rêves de grandeur souvent narcissiques, mais dans l’humilité des tâches ordinaires, dans la gestion du quotidien, y compris le plus plat, non pas faute de mieux et dans un renoncement moral – même si cette dimension intervient aussi –, mais surtout parce que Jésus y est mystérieusement présent et que nous pouvons l’y rencontrer, si nous sommes suffisamment éveillés et attentifs, puisque le Verbe s’est fait enfant, jeune garçon, homme, et qu’il a habité parmi nous et vécu notre vie ordinaire en l’emplissant de grâce et de vérité.

Pour conclure: cette méditation a essayé de contempler Joseph homme de Dieu, puis Joseph père, et enfin Joseph comme saint du quotidien. Dans chacune de ces trois dimensions, Joseph est, me semble-t-il, un exemple pour tout un chacun, et plus encore pour le prêtre et pour celui qui se prépare à le devenir. Priez donc, frères et soeurs, pour vos prêtres et vos séminaristes, pour qu’ils soient eux aussi, à votre service, des hommes de Dieu, des pères, et des saints du quotidien.

JN Dol+

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